Dossier : Le numérique, question d’école

Édito

Dossier publié en février 2018 et réalisé par: Grégory Bekhtari, Sandrine Charrier, Pierre Garnier, Matthieu Leiritz, Marie-Rose Rodrigues-Martins.

En l’espace d’une décennie, le numérique s’est très largement diffusé au sein de l’institution scolaire, au point de faire partie du quotidien de l’ensemble des acteurs du monde de l’éducation. Cela implique-t-il de « repenser la forme scolaire à l’heure du numérique », et d’aller vers de « nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner », comme le préconise un rapport récent de l’Inspection Générale ?

Si les mutations pédagogiques à l’œuvre sont à regarder de près, il convient d’abord de voir comment le système éducatif dans son ensemble a géré la transition numérique. Celle-ci s’est opérée avec le soutien du ministère de l’éducation nationale. Mais les plans mis en œuvre ont leurs limites, notamment en termes de moyens financiers. Les grandes marques de l’industrie informatique exercent une pression liée aux besoins nouveaux en équipement des établissements (Espace Numérique de Travail, manuels et tableaux numériques…) mais aussi des élèves (portables, tablettes…), à laquelle la puissance publique peine parfois à répondre. Le développement du marché du numérique scolaire pose la question de la protection des données personnelles – qu’il s’agisse de fichiers contenant des informations sur les élèves, ou de cours qui sont la propriété intellectuelle des enseignants – contre la commercialisation, voire le piratage. Le recours aux innovations technologiques élaborées par des entreprises privées ne va d’ailleurs pas de soi. Le partenariat entre l’Éducation nationale et Microsoft conclu en 2015 met en cause la neutralité de l’État. La stratégie actuelle de soutien du ministre JeanMichel Blanquer aux startups privées françaises du numérique appliqué à l’éducation (EdTech) accentue cette orientation libérale. Pourtant, le service public d’éducation n’est-il pas en mesure de produire et diffuser ses propres outils numériques, libres et gratuits ? Cela serait particulièrement utile aux enseignants, qui ont souvent intégré les nouveaux outils disponibles dans leurs pratiques de classe mais manquent de formation pour en exploiter toutes les propriétés. Entre pression institutionnelle et liberté pédagogique des enseignants, il est nécessaire de trouver l’équilibre entre des usages qui apportent une véritable plus-value selon les domaines d’étude et la perspective du « tout numérique ». Dans quelle mesure le numérique peut-il permettre de motiver les élèves et d’améliorer les apprentissages scolaires ?

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Les « plans numériques » constituent un axe de réforme poursuivi par l’ensemble des gouvernements depuis trente ans : plan d’équipement de 10 000 ordinateurs en 1979, plan de développement des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement en 1997 et plan École numérique rurale en 2008. Le grand chantier de 2015 lance une « révolution numérique ».

Le plan numérique lancé en 2015 devrait « permettre aux enseignants et aux élèves de bénéficier de toutes les opportunités offertes par le numérique. »

En France seulement 0,5 % des dépenses scolaires sont consacrées au numérique. C’est six fois moins que la moyenne mondiale. Les annonces et les plans se succèdent sans qu’il y ait de cohérence d’ensemble et sans que les moyens nécessaires soient attribués. De plus se posent des questions concernant le bon usage du numérique et la protection des données.
Actuellement l’école est soumise aux lobbyings du marché alors qu’elle devrait pouvoir définir ses propres cadres selon ses propres missions et objectifs.
Le plan numérique lancé en 2015 devrait « permettre aux enseignants et aux élèves de bénéficier de toutes les opportunités offertes par le numérique. »
Objectifs annoncés : favoriser la réussite scolaire, l’autonomie, la citoyenneté et préparer les élèves aux emplois de demain.
Mais l’ambition portée par les quatre axes du plan (formation, enseignement, ressources et équipements) se traduit peu concrètement.
La formation se réduit à des formations à distances pour des volontaires (m@gistère ou MOOC) et des formations institutionnelles. La loi de refondation a inscrit un volet numérique dans les ESPE. Mais le contenu et le nombre d’heures dépendent des maquettes de chaque ESPE. Il y aurait également nécessité de s’appuyer sur les résultats de la recherche pour comprendre, étudier et mesurer l’impact du numérique.
L’enseignement est circonscrit au codage et à la programmation en cycle 4 et à des enseignements facultatifs en lycée (informatique et sciences du numérique et informatique et création numérique) qui sont loin d’exister partout. En primaire, cet enseignement dépend d’enseignants volontaires, motivés et au fait et il releve des choix des établissements en lycées.
Les ressources offertes aux enseignants le sont par des éditeurs pour trois ans, sont très mal connues et inégalement utilisées. Le portail « Myriaé » de ressources pédagogiques, numériques et gratuites ou payantes est méconnu. De grandes inégalités territoriales existent concernant les équipements matériels. Les programmes d’investissement d’avenir (PIA) financent en partie les « collèges numériques » mais n’incluent pas les coûts de fonctionnement.
Selon une étude de l’OCDE de 2015 l’utilisation d’outils numériques par les élèves n’améliore pas leurs performances si elle n’est pas accompagnée d’une pédagogie adaptée. Les pays qui ont amélioré les leurs ont largement développé en même temps que le numérique le travail en petits groupes, la culture du projet et de la différenciation.
Fabriquer des consommateurs plus ou moins avertis ou former tous les citoyens à la culture du numérique et des réseaux et au développement d’une éthique? Tel est l’enjeu.

Aux États-Unis, les politiques scolaires sont décidées au niveau de chaque État qui les délègue en grande partie aux districts (équivalent d’un département français). Le gouvernement fédéral ne fournit que 7 % du budget alloué à l’éducation et ne fixe pas d’orientation contraignante globale mais peut agir en soutien.

14 états américains ont décidé de rendre à nouveau l’enseignement de l’écriture cursive à une étape du curriculum.

Créée par le Congrès, la Federal Communications Commission ou FCC (Commission Fédérale des Communications), une agence dont l’une des missions est de réguler les usages du numérique, assure la promotion d’un guide (le Digital Textbook Playbook) à l’intention des enseignants et des chefs d’établissement pour les conseiller sur la transition numérique. Ce guide, rédigé en 2012, est le fruit d’une collaboration entre la FCC et de grandes entreprises comme Apple, Dell, Hewlett-Packard et Samsung, le partenariat public/privé étant la norme dans ce pays.
L’accent est mis sur la généralisation de l’usage des manuels numériques, pour lesquels sont dépensés 7 milliards de dollars par an. Un programme en faveur de la connexion haut débit dans toutes les écoles et bibliothèques a été mis en place. Et les initiatives d’États pionniers en la matière, comme la Californie, soutenue par l’industrie des hautes technologies de la Sillicon Valley, et la Floride, sont proposées comme des exemples à suivre.
Une journée annuelle de l’enseignement numérique (au mois de février) a même été créée. Cependant la généralisation en classe de l’usage des tablettes, des dispositifs numériques interactifs et des nombreuses applications conçues à des fins d’apprentissage ne s’est pas opérée sans soulever des questions. En 2016, 14 États américains ont décidé de rendre à nouveau obligatoire l’enseignement de l’écriture cursive à une étape du curriculum. Avant ce changement, 45 États sur 50 avaient abandonné toute référence contraignante à l’écriture manuelle dans leurs programmes et recommandaient aux enseignants de se concentrer sur l’écriture par ordinateur et les techniques afférentes.
Des études scientifiques ayant démontré les bienfaits pédagogiques de l’écriture à la main en matière de motricité fine, mais aussi de compréhension, de mémorisation et de développement de capacités de synthèse, les législateurs de ces États ont dû acter les limites de l’enseignement numérique.

Les enseignants utilisent massivement le numérique pour préparer leurs cours et pour concevoir des séquences d’activités qui ne nécessitent pas d’utilisation d’outils numériques de la part des élèves. Pourtant, les enseignants souhaiteraient que leurs élèves puissent recourir en classe à l’utilisation d’outils numériques pour mieux les faire travailler en autonomie, avec manipulation de matériel. Pour autant, le manque d’équipement, la taille des groupes d’élèves, le défaut de maintenance, le manque de formation sont des freins qu’ils évoquent. Dans le premier degré, développer la communication via le numérique les motive assez peu (avec les élèves, entre les élèves, avec les collègues), sauf avec les parents.
De l’école au lycée, un enseignant sur trois utilise le numérique en vue de personnaliser l’apprentissage : Twitter pour les dictées, tablettes pour la relation aux parents par exemple, vidéos consultables pour travailler des notions, manuels numériques, travail collaboratif avec un tableau interactif, classes inversées…
Dans le second degré, le numérique sert aussi à saisir les notes et/ou les absences et à compléter le cahier de textes numérique. Au collège, l’utilisation d’applications comme « Pronote » pour la transmission des résultats des évaluations des élèves est quasi généralisée. De plus en plus, elles servent de support à l’évaluation et leur paramétrage échappe en grande partie aux enseignants, avec un impact important sur les pratiques de classe. La liberté pédagogique est remise en cause. L’évaluation des élèves est utilisée pour transformer, sans le dire, les pratiques des enseignants. Ces prescriptions, déconnectées de leurs pratiques réelles, induisent une surcharge de travail, et une perte de lisibilité pour les parents.
Parce que numérique ou pas, « le cœur du métier d’enseignant reste le même : concevoir des situations et des tâches donnant du sens aux apprentissages », dit André Tricot (voir Interview).

Source : Enquêtes Profetic 2015 premier degré et 2016 second degré.

Les technologies numériques recouvrent différents outils et renvoient à des usages divers qu’il convient d’abord de distinguer clairement.

Les entreprises dédiées aux technologies de l’éducation cherchent à se placer sur le créneau de « l’innovation pédagogique » pour redéfinir l’école, cherchant à prendre la main sur ce qui est enseigné.

Les ENT (environnement ou espace numérique de travail) sont des instruments de gestion et de communication à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement. Ils incluent souvent des applications privées comme Pronote, utilisée par de nombreux établissements. Concernant les outils numériques, les situations des Premier et Second degré sont très différentes. Ceci est à mettre en lien avec les moyens donnés au primaire par l’école et surtout la mairie, et dans le secondaire par le conseil départemental (collège) ou régional (lycée).
L’équipement en ordinateurs, tablettes, vidéoprojecteurs et Tableaux Numériques Interactifs (TNI) est également inégal selon le type d’établissement scolaire, mais aussi selon les territoires. Les moyens humains et financiers sont par ailleurs toujours insuffisants pour faire fonctionner partout et correctement les équipements et les réseaux. Le besoin de personnels formés est patent. Pour la FSU, ils doivent être recrutés Dossier POUR N° 206 F 20 ÉVRIER 2018 sous statut de fonctionnaire. Les dotations insuffisantes poussent nombre d’enseignants à utiliser leur matériel personnel en cours, voire à demander aux élèves de faire de même, alors que la loi leur interdit actuellement l’usage du téléphone en classe.

Initiatives d’enseignants férus d’informatique
Ce sont très souvent les enseignants les plus férus d’informatique qui intègrent des outils numériques à leurs enseignements, dans l’objectif de permettre une plus grande réussite des élèves. Cependant le recours aux tablettes, aux TNI, aux classes mobiles, au travail intégrant les réseaux sociaux (Twitter, Skype …), aux échanges eTwinning (vidéoconférences et messagerie entre deux pays) n’est pas généralisé. Ces expérimentations sont menées sans être suivies dans la durée ni évaluées et trop peu d’initiatives sont prises au niveau du primaire.
On peut par ailleurs déplorer que la promotion et la diffusion de logiciels libres, respectueux des libertés de chacun et de standards ouverts capables de fonctionner avec d’autres produits ou systèmes informatiques ne soit pas une priorité du ministère.
Sur le plan réglementaire, ENT et TICE sont encadrés par le Schéma directeur des espaces numériques de travail qui assure une unité fonctionnelle à l’ensemble et fixe un cadre juridique pour la protection des données. Il est complété par le Cadre de référence des services d’infrastructures numériques d’établissements scolaires et d’écoles (CARINE) qui précise les éléments considérés comme indispensables a minima pour les services rendus aux utilisateurs des outils numériques. Malgré cela, les questions de la confidentialité des données stockées sur des instruments de gestion (cahier de texte numérique, livret scolaire en ligne…) administrés par des opé- rateurs privés ainsi que celle de la propriété intellectuelle des Web cours des enseignants ne sont toujours pas réglées.

Lu’est-ce que ce nouveau secteur économique, « l’EdTech » ? Il comprend des géants américains du numérique comme Google, Apple ou Microsoft, et aussi plus de 200 structures françaises dont une majorité de startups.

Les entreprises dédiées aux technologies de l’éducation cherchent à se placer sur le créneau de « l’innovation pédagogique » pour redéfinir l’école, cherchant à prendre la main sur ce qui est enseigné.

Ces entreprises dédiées aux technologies de l’éducation couvrent un large champ de services. Leur stratégie consiste à se placer sur le créneau de « l’innovation pédagogique » pour redéfinir l’école, cherchant à prendre la main sur ce qui est enseigné.
« Nous devons encourager l’industrie des Edtech et son développement dans le monde (…) Dans quelques années on viendra voir ce qui se passe en France en la matière ». Ainsi s’est exprimé en novembre dernier Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, lors du lancement d’Educapital, premier fonds privé d’investissement français dédié à l’éducation et à la formation. Prônant la « transparence », il a défendu une « logique collective », de partenariat public-privé.
Leurs intérêts sont défendus par l’AFINEF (Association française des industriels du numérique de l’éducation et de la formation), organisation patronale rassemblant une myriade d’entreprises. Elle a publié une tribune dans Le Monde le 15 novembre 2017 intitulée « L’éducation en France au temps des Lumières numériques », dénonçant l’école publique : école ancienne, dépassée, celle des tableaux noirs, de l’ennui, normative et élitiste, productrice d’inégalités. Les entrepreneurs du numérique éducatif se présentent ainsi comme une forme de révolution démocratique, émancipatrice, offrant l’accès à tous les savoirs, à chaque élève. Ils réclament donc que l’État investisse dans leur secteur l’équivalent de 1 % du budget du Ministère de l’éducation nationale! Ce dernier a commencé à les satisfaire dans le cadre d’un partenariat d’innovation « Investissements d’Avenir ». Il comporte un volet e-Éducation et est mis en œuvre par le Commissariat général à l’investissement (CGI), chargé de veiller à la politique d’investissement de l’État.
Si les utilisateurs des services et outils proposés par la filière EdTech sont pour majorité les particuliers (familles, actifs, etc.), les prescripteurs de l’offre sont pour deux tiers d’entre eux les établissements d’enseignement et les entreprises. C’est notamment là que se trouve le risque de marchandisation de missions qui relèvent du service public, et la remise en cause de leur gratuité. Il s’agit aussi pour les personnels de l’Éducation nationale de ne pas laisser redéfinir leurs métiers par l’EdTech, à travers ses outils et ses services, même au nom de la sacro-sainte croissance économique.

Voici un peu plus d’un an, la Région Grand Est (Alsace, Champagne Ardennes, Lorraine) décidait la disparition progressive des manuels scolaires papiers à échéance de 4 années, en commençant par une cinquantaine de lycées volontaires, dès la rentrée 2017. Visite dans un de ces lycées « 4.0 » pionniers.

Le lycée Henri Loritz, niché au cœur de Nancy accueille plus de 2000 élèves, dont plusieurs classes préparatoires et de STS.

Le lycée Henri Loritz, niché au cœur de Nancy, à proximité d’anciens quartiers industriels réhabilités, est un gros lycée technologique réputé. Il accueille plus de 2000 élèves, dont plusieurs classes préparatoires et de STS. On sent, chez les personnels rencontrés, enseignants, documentaliste, CPE ou chef d’établissement – une certaine fierté de travailler dans ce paquebot, mais aussi la pression liée aux résultats attendus. Loritz, nous explique le Proviseur, qui nous a largement ouvert sa porte, s’est porté volontaire pour l’expérimentation, après débat en commission permanente puis conseil d’administration, fin 2016 début 2017. Une partie – 40 % – des représentants des personnels et des parents d’élèves n’y étaient pas éfavorables. Mais le processus s’est enclenché avec de gros travaux d’aménagement des locaux qui ne se sont achevés, à marche forcée, qu’au retour des dernières vacances d’automne : installation de bornes wifi dans les salles, de tableaux interactifs, et bien entendu remplacement des manuels en papier par les manuels numériques.
Les élèves ont été invités soit à s’équiper de leurs propres appareils, soit à acheter un ordinateur via la Région: trois modèles sont proposés à des tarifs plus ou moins élevés avec une subvention régionale de 225 euros par appareil. Une cinquantaine d’élèves s’y est refusée, essentiellement en Terminale. Raisons invoquées: inutilité de cet achat pour une seule année, incrédulité sur l’efficacité pédagogique du dispositif mais aussi, et plusieurs enseignants le disent ouvertement, crainte d’une dépense supplémentaire, en dépit de possibilité d’une aide par l’établissement, dans le cadre du fonds social. Sans remettre en cause Luc, professeur de S2I, préfère placer le débat sur l’enjeu essentiel, la réussite des élèves. À l’évidence, et le fait est signalé par beaucoup, la région a sans doute confondu vitesse et précipitation, notamment en sous estimant le temps nécessaire pour l’appropriation des équipements et des nouvelles méthodes pédagogiques par les enseignants. Certes, des formations ont été assurées à raison d’une journée par discipline, mais pas encore en anglais ou en histoire géographie. Et tous les enseignants ne sont pas partants, plus volontiers en voie technologique, moins ailleurs, certains ont tout à découvrir, notamment parmi les enseignants les plus âgés, mais ce n’est pas une règle absolue. Une CPE, un petit sourire aux lèvres, nous confie d’ailleurs que la photocopieuse tourne à plein régime pour pallier la disparition des manuels. La formation : un point faible Région Grand Est : objectif zéro papier langues vivantes par exemple. Tout ceci signifie un travail qui n’allège en rien les tâches d’un enseignant, mais comporte également le risque d’un nouvel empiétement sur le temps de la vie privée. Enfin, à l’évidence, les éditeurs ont également été pris de vitesse d’où pour le moment des manuels numériques qui consistent essentiellement dans les PDF des anciens manuels. Enfin les enseignants subissent une certaine pression de parents d’élèves soucieux de voir rentabilisé un investissement assez lourd. À aucun moment cependant, on n’entend de volonté d’un retour au statu quo ante. Et d’ailleurs la Région est formelle, à la rentrée prochaine, une nouvelle fournée de lycées entreront en 4.0. Sale temps pour les bourses aux livres scolaires… mais en Lorraine, le sale temps, c’est la routine.  le dispositif, à même d’encourager des élèves habitués aux écrans, le malaise est néanmoins palpable: quid d’une nouvelle différenciation sociale visible des élèves en fonction de leur équipement, quand les manuels traditionnels étaient les mêmes pour toutes et tous?
Quatre mois après le basculement dans le tout numérique, il est trop tôt pour un premier bilan pédagogique selon Luc, professeur de S2I. Mais certains faits sont saillants : l’équipement numérique n’est utile pour les élèves que s’il s’accompagne de nouvelles pratiques pédagogiques en classe, comme gérer en l’encadrant une plus grande autonomie des élèves dans la recherche de documentation par exemple, ou la possibilité de leur adresser des liens vers des exercices d’application dont l’enseignant peut vérifier la justesse à distance, en cause le dispositif, à même d’encourager des élèves habitués aux écrans, le malaise est néanmoins palpable: quid d’une nouvelle différenciation sociale visible des élèves en fonction de leur équipement, quand les manuels traditionnels étaient les mêmes pour toutes et tous? Quatre mois après le basculement dans le tout numérique, il est trop tôt pour un premier bilan pédagogique selon Luc, professeur de S2I. Mais certains faits sont saillants : l’équipement numérique n’est utile pour les élèves que s’il s’accompagne de nouvelles pratiques pédagogiques en classe, comme gérer en l’encadrant une plus grande autonomie des élèves dans la recherche de documentation par exemple, ou la possibilité de leur adresser des liens vers des exercices d’application dont l’enseignant peut vérifier la justesse à distance, en langues vivantes par exemple. Tout ceci signifie un travail qui n’allège en rien les tâches d’un enseignant, mais comporte également le risque d’un nouvel empiétement sur le temps de la vie privée. Enfin, à l’évidence, les éditeurs ont également été pris de vitesse d’où pour le moment des manuels numériques qui consistent essentiellement dans les PDF des anciens manuels. Enfin les enseignants subissent une certaine pression de parents d’élèves soucieux de voir rentabilisé un investissement assez lourd. À aucun moment cependant, on n’entend de volonté d’un retour au statu quo ante. Et d’ailleurs la Région est formelle, à la rentrée prochaine, une nouvelle fournée de lycées entreront en 4.0. Sale temps pour les bourses aux livres scolaires… mais en Lorraine, le sale temps, c’est la routine

L’interview

André Tricot : « Quelle application pour quelle tâche ? »

André Tricot est professeur de psychologie à l’ESPE de Toulouse. Il conduit ses recherches dans deux domaines : les apprentissages et leurs difficultés ; l’activité de recherche d’information dans les environnements numériques.

« Chaque type d’outil qui présente une plus-value du point de vue des apprentissages présente une plus-value très spécifique »

Amadieu, F., & Tricot, A. (2014). Apprendre avec le numérique: mythes et réalités. Ed. Retz.

Les références du « modèle social français » me semblent être constituées à la fois par le programme du Conseil National de la Résistance (dont la majeure partie des propositions sont détaillées sur le plan social), et par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), alors que la dernière loi adoptée par l’Assemblée nationale constituante d’alors a été le statut général des fonctionnaires de la loi du 19 octobre 1946. Cette proximité explique la communauté d’inspiration de l’époque. De fait les principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité du statut sont aussi ceux de ces textes fondateurs. Mais le statut général des fonctionnaires s’inscrit également dans une histoire propre qui a vu les fonctionnaires, leurs associations et leurs syndicats passer de la revendication d’un « contrat collectif » à celle d’un statut législatif.

La juxtaposition des catégories « usagers » et « fonctionnaires » est source de confusion. Beaucoup d’usagers sont fonctionnaires et tous les fonctionnaires et leurs familles sont des usagers. En fait cette distinction recouvre le plus souvent une volonté de mise en accusation des fonctionnaires devant les insuffisances, les défauts des services publics dont sont responsables les initiateurs de politiques publiques défectueuses qui trouvent ainsi le moyen de détourner la population de leurs turpitudes. Cela dit, la notion d’usager a un sens lorsqu’il s’agit de représentants de parents d’élèves ou d’utilisateurs de moyens de transports clairement identifiés, une ligne de bus, par exemple. Elle est plus discutable au niveau national car elle entre alors en conflit avec les légitimités des élus et des fonctionnaires définies par la loi. Elle a un intérêt dans la vie associative et peut nourrir la réflexion sur ce que certains appellent la « démocratie participative ».

Le droit syndical et le droit de grève ont été reconnus tardivement aux fonctionnaires, bien après le secteur privé. Ils n’en sont pas moins importants. Le droit de grève a été intégré au statut général en 1983 (art. 10 du titre I er) de même que le droit syndical (art. 8) et la participation à la gestion (art. 9). La spécificité résulte du fait que le fonctionnaire est dans une situation statutaire et réglementaire, définie par un acte unilatéral de la puissance publique, la loi, et non par un contrat. Il s’ensuit que la concertation dans la fonction publique peut déboucher sur des accords ou des relevés de conclusions mais que ceux-ci n’ont pas, par eux-mêmes, de valeur normative, même s’ils engagent la parole des partenaires et notamment celle de l’État et autres collectivités publiques. Pour autant, la concertation n’en est pas moins importante.

L’idéologie dominante voudrait nous faire admettre que le libéralisme est la fin de l’histoire, que l’entreprise privée est le paradigme de toute organisation sociale et le management l’expression d’excellence de la citoyenneté. La crise de civilisation dans laquelle nous nous trouvons a le sens d’une « métamorphose » déjà engagée par le développement des interdépendances, des coopérations, des solidarités. Des valeurs et des principes universels tendent à s’affirmer, des moyens matériels et immatériels se mettent en place aux niveaux mondial et continental, l’affirmation du genre humain comme sujet de droit sera la grande affaire du XXIe siècle. Toutes ces notions qui prennent corps, souvent dans les souffrances et les violences, se condensent en France dans le concept de service public dont la Fonction publique est l’essentiel et une pièce maîtresse du pacte républicain.